Ces dernières années, YouTube a vu émerger une multitude de polyglottes autoproclamés promettant une maîtrise rapide des langues étrangères grâce à des méthodes simplifiées. Souvent réduites à l’acquisition de quelques centaines de mots, ces approches privilégient l’immédiateté et l’instruction par soi-même au détriment des échanges interactifs, culturels et collectifs constituant les principes fondamentaux de la didactique traditionnelle.
La prolifération – et la monétisation – de ces prouesses solitaires m’interpelle : pourquoi chercher à acquérir de manière superficielle et autonome une compétence vouée à approfondir et à démultiplier les rapports sociaux ?
C’est également la question que pose James Stubbs sur sa chaîne YouTube Future Multilingual, dans une vidéo où il souligne la nature essentiellement individualiste de ces nouvelles figures de l’apprentissage linguistique sur le web :
« Il existe un danger à adopter un individualisme exacerbé et à ne valoriser que ses accomplissements personnels. Car si vous refusez de partager des expériences communes avec d’autres et que vous vous concentrez uniquement sur l’effort et la maîtrise personnels, il vous sera d’abord très difficile d’apprendre une langue. Surtout, quelle que soit la langue acquise, elle ne vous procurera qu’un sentiment de contrôle et s’accompagnera d’un désintérêt total pour ses locuteurs. »
L’approche que dénonce Stubbs suggère qu’il est possible de séparer une langue du contexte socioculturel dans lequel elle s’inscrit – non seulement pour la comprendre, mais aussi pour l’apprendre. Maîtriser l’espagnol en un mois sans sortir de chez soi, devenir bilingue grâce à l’IA : la fonction première du langage semble s’être transformée. Son rôle consiste moins à établir une connexion à autrui qu’à fléchir un muscle intellectuel à des fins de valorisation personnelle.
Plus généralement, et comme l’a remarqué la youtubeuse Salem Tovar, ces figures évoluent dans un écosystème médiatique avide d’injonctions au perfectionnement personnel et à l’optimisation perpétuelle de sa propre productivité :
« Les réseaux sociaux ont en quelque sorte déformé notre esprit pour romancer cette culture extrêmement individualiste, extrêmement capitaliste, de l’éthique du travail et des comportements isolants, qui est présentée comme une ère de guérison ou une ère de self-care. Pendant ce temps, les statistiques et la science démontrent que plus nous nous isolons, plus nous nous concentrons sur nous-mêmes, plus nous sommes malheureux. Mais sur les réseaux sociaux, nous sommes bombardés par le message que plus on s’isole et plus on se concentre sur soi-même, plus on devient heureux. C’est la raison pour laquelle certaines personnes évitent complètement de nouer de nouvelles amitiés ou de faire de nouvelles rencontres. »
Dans ce contexte, apprendre 7 langues, vite et seul·e, participe à la construction d’une image flatteuse véhiculant des valeurs d’ambition et de détermination. Pourtant, qu’il s’agisse de souscrire à la dernière application en vogue ou de converser avec ChatGPT, ces méthodes tendent vers une approche réductionniste de l’apprentissage des langues, limitée à des considérations techniques (la grammaire et le vocabulaire) au détriment des problématiques socioculturelles et relationnelles qui font la richesse du multilinguisme.
Si le fossé entre langage et culture n’est pas propre à l’ère numérique, il semble davantage lié à une perception erronée de ce que suppose l’acquisition d’une langue étrangère. Hélas, nourrir le mythe d’un apprentissage mécanique simple et rapide contribuera peut-être à décourager l’étudiant honteux de ne pas maîtriser le coréen en moins de 6 mois – ou pire, à faire porter à toute une diaspora la culpabilité d’une intégration linguistique difficile. Se désintéresser des sensibilités sociopolitiques et culturelles de ses interlocuteurs, c’est faire l’économie du plus important – c’est se concentrer sur ce que l’on veut dire au lieu d’apprendre quand se taire.
Où pratiquer une langue étrangère ?
Les instituts municipaux, associations culturelles, bibliothèques et médiathèques de votre ville/commune accueillent parfois des cours de langue, des temps de conversation et des manifestations culturelles accessibles à toutes et tous. Vous habitez près d’un campus universitaire ? Les étudiant·e·s et personnels en mobilité internationale peuvent également être à la recherche d’habitants locaux avec qui visiter leur nouvelle ville; renseignez-vous auprès de la direction internationale de l’université la plus proche de chez vous.
Super article, Zoé ! Rien ne remplace le contact humain pour apprendre une langue. Une appli ou une vidéo ne captera jamais les hésitations, les sourires, les incompréhensions qui font toute la richesse d’un échange 🙂
Exactement ! Et puis, c’est quand même plus fun 😄